Quel sens peut avoir la responsabilité sociale pour une entreprise de cigarettes ? Pour beaucoup, il s’agit d’une contradiction dans les termes et la seule façon d’être responsable sur ce marché (qui a déjà entraîné, au 20ième siècle, la mort de 100 millions de personnes et qui pourrait à l’avenir, si la consommation poursuit les tendances actuelles, faire chaque année 10 millions de morts par an, principalement dans les pays en développement) est d’arrêter de vendre des cigarettes. D’autres (rares), prenant plus prosaïquement acte de l’existence de ce marché et de ses pratiques peu responsables, tentent de le faire progresser vers du mieux et veulent montrer qu’il est possible, sur ce sujet-là aussi, de parier sur l’éthique pour prendre des parts de marché aux géants du secteur et, ainsi, de les pousser à adopter des pratiques plus responsables.
C’est le cas par exemple d’American Spirit, une marque de cigarette alternative qui a fondé sa réputation (et son succès) sur l’absence d’additif chimique dans ses produits, le choix du tabac bio, etc.
Tout a commencé en 1982 à Santa Fe (Nouveau Mexique) où les deux fondateurs se sont inspirés de la vision traditionnelle des Indiens d’Amérique pour créer une nouvelle marque de cigarette la plus naturelle possible. 25 ans après, l’entreprise n’a pas dérogé à ses valeurs fondamentales que sont, depuis le début, la transparence totale sur la composition des produits et la non-utilisation d’additif chimique qui accroissent la dépendance aux cigarettes. American Spirit propose aussi (mais pas en France, où la marque est distribuée par Altadis depuis quelques années) des produits faits à partir de tabac 100% bio et encourage ses producteurs à se convertir à une agriculture responsable en achetant le tabac biologique deux fois plus cher que le tabac conventionnel. Un choix qui ne semble pas plaire à tout le monde : en Allemagne, un tribunal a curieusement condamné la marque, sur plainte des associations de consommateurs, en considérant que le concept "bio" laissait entendre que la cigarette n’était pas nocive. Cohérence oblige, le siège social de la marque à Santa Fe est alimenté à 100% à partir d’électricité verte, l’entreprise se refuse toute vente sur internet, soutient les initiatives prises par les Pouvoirs Publics pour interdire la vente de cigarettes aux mineurs (ce fut le premier cigaretier à inscrire la mention “interdit aux mineurs” sur les paquets en 1994) et met un point d’honneur à expliquer à ses clients que s’ils ne contiennent pas d’additif, ses produits ne sont pas moins toxiques que d’autres. Rachetée en 2002 par Reynolds American (déjà producteur de marques de tabac non-alternatives comme Camel ou Kool) qui s’est engagé à préserver l’indépendance de l’entreprise, American Spirit a très logiquement fait école : une marque nouvelle de cigarettes fabriquées à partir de tabac issu du commerce équitable, "cultivé sans pesticides et sans produits chimiques" (tirant la leçon de la mésaventure allemande de son concurrent, Yuma n’emploie pas le terme bio même si elle fait quand même figurer le mot anglais "organic"), le tout sans adjonction d’additifs, est désormais disponible en France.