Les Etats-Unis, on le sait, sont un grand pays, capable du pire mais aussi du meilleur. La preuve : du côté de la responsabilité sociale des entreprises, une grosse poignée de PME innovantes (dont beaucoup basées en Californie) s’attèlent depuis 2006 à promouvoir un nouveau statut légal pour les entreprises, baptisé "B Corporation", ou entreprise bénéfique. De quoi s’agit-il ? Le label "B Corporation" est géré par une association, baptisée B Lab, créée en 2006 par trois entrepreneurs de Philadelphie ayant fait fortune dans le matériel sportif et l’immobilier, et qui souhaitaient se consacrer à la promotion d’un modèle plus responsable d’entreprise. Concrètement, les entreprises qui prétendent devenir une "B corporation" doivent d’abord se plier à un audit très pointu de leurs performances sociales et environnementales, de leurs pratiques industrielles et d’achats, mais aussi de l’utilité sociale de leurs produits. Un référentiel a été élaboré pour cela par B Lab et les entreprises fondatrices (parmi lesquelles on trouve notamment la société de distribution de fournitures de bureaux engagée Give Something Back, qui reverse tous ses profits non-réinvestis à des causes) et il faut avoir une note minimale de 80 sur 200 pour pouvoir prétendre au statut de "B Corporation". Mais surtout, elles acceptent de modifier très officiellement leurs statuts et les autres documents-clefs fixant le cadre légal de leur activité, selon le modèle juridique développé par les entreprises fondatrices. L’exercice vise à rendre explicite le fait qu’elles ne se consacrent pas uniquement à la maximisation de la valeur pour l’actionnaire, mais qu’elles élargissent le champ des intérêts pris en compte avec une "déclaration d'interdépendance" qui inclut ceux de la société, des consommateurs, des salariés et de l’environnement au sens large – sans évidemment oublier les actionnaires pour autant. Ainsi, l’engagement social et environnemental est alors intégré à l’ADN de l’entreprise, de sorte qu’un nouveau management, de nouveaux actionnaires ou même un nouveau propriétaire ne peut revenir à un modèle classique, et doit respecter ce pour quoi l’entreprise existe, légalement. A contrario, les fondateurs du modèle misent sur le fait que les "B corporations" attireront du coup des investisseurs motivés par la dimension éthique de leurs activités et bien décidé à la préserver voire à la développer ! Autre avantage du modèle : les entreprises qui ont désormais le label "B Corporation" peuvent faire entendre leur voix collectivement notamment en lobbying… et peuvent utiliser leur statut pour se différencier aux yeux des clients ou des investisseurs.
Le projet est un succès, au-delà sans doute des espérances de ses fondateurs : 506 entreprises américaines sont désormais certifiées "B Corporation" (dont les fabricants de détergents écologiques Method ou Seventh Generation, le studio de création Free Range, la filiale américaine d'Alter-Eco, etc.) et surtout, sept Etats américains en ont fait un statut légal : après le Maryland en avril 2010 : le Vermont, Hawaii, la Virginie, la Californie, le New Jersey, New-York (en décembre dernier) et dans une moindre mesure le Colorado, la Caroline du Nord, la Pennsylvanie et le Michigan ont suivi. La ville de Philadelphie, de son côté, accorde depuis 2009 des avantages fiscaux aux entreprises certifiées. En Californie, le cadre juridique est entré en vigueur depuis le premier janvier 2012 et le leader du textile éthique Patagonia a été l'une des toutes premières firmes à choisir cette option en cohérence avec les valeurs de l'entreprise, qui a décidément toujours un train d'avance...