Jason Drew se décrit lui-même dans un article de Time Magazine comme un "éco-capitaliste". Pourtant, sa récente ferme industrielle située à proximité de l’aéroport de Cape Town, en Afrique du Sud, ne fait pas exactement rêver les amoureux de la nature. AgriProtein est sensé produire 22 tonnes de larves de mouches "soldat noir" par jour (une espèce dont la femelle produit 1500 œufs à chaque ponte, lesquels donnent naissance à des asticots en dix jours seulement), pour une valeur approchant les 10 000 dollars une fois que ces larves sont séchées et transformées en granulés destinés aux élevages de volailles et à l’aquaculture.
Mais il ne s’agit pas que d’argent : pour Drew, les asticots sauveront le monde. Car en 2050, la population mondiale comptera 2 milliards de plus de bouches à nourrir, et la demande en protéines augmente encore plus rapidement, car les progrès du niveau de vie en Afrique et en Inde entraînent une demande accrue en viande de boeuf, porc, poulet ou poisson. C’est ce que l’organisation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture (Food and Agricultural Organization - FAO) appelle la contraction des protéines animales (animal protein crunch, en anglais) … et ce que Drew appelle une opportunité. A ses yeux, l’élevage industriel est un moyen inefficace de produire des protéines - car il utilise de la farine de petits poissons pêchés dans des océans de plus en plus menacés pour nourrir les animaux, et il faut 1,5 kilos de farine pour produire 1 kilo de poulet. Sans compter que, comme le dit Drew, "si les poulets étaient fait pour manger du poisson, ils seraient des goélands"… Ce que mangent les poules à l’état naturel, rappelle-t-il, ce sont principalement des insectes et des larves. Alors pourquoi ne pas leur redonner cette nourriture, qui coûte par ailleurs deux fois moins cher que la farine de poisson à produire ?
A l’origine de cette idée qui a germé il y a sept ans, la vision (d’horreur ?!) d’un bassin de sang derrière un abattoir à proximité de sa ferme… un bassin qui était littéralement envahi de mouches et a donné à Drew l’idée de développer un programme de récupération et de bio-recyclage des déchets organiques des abattoirs, mais aussi des hôtels, épiceries et restaurants de Cape Town. La vente de sa ferme et une présentation à TEDx plus tard, Drew réussit à trouver une dizaine de millions de dollars pour compléter ses propres investissements et construire son usine en Afrique du Sud, cependant qu’il réfléchit déjà à la dupliquer en Amérique du Nord, en Europe, etc. Et comme rien ne se perd dans l’économie circulaire, AgriProtein ne paye pas les déchets organiques qu’elle utilise (puisqu’elle rend un service à ceux dont elle les débarrasse) mais en plus transforme les excréments des mouches pondeuses en amendement organique pour l’agriculture. Ajoutons à cela que la mouche "soldat noir" ne transmet pas de maladie et que son élevage ne génère pas d’odeur nauséabonde qui poserait problème aux riverains… Drew concède quand même que l’élevage industriel de mouches pose quelques défis qu’AgriProtein a désormais résolus, avec des solutions qu’elle protège jalousement, car d’autres acteurs commencent à voir, eux aussi, un nouvel or noir dans les mouches (voir par exemple Enterra au Canada, co-fondé par l’écologiste David Suzuki, ou encore NextAlim et Ynsect en France). L'histoire ne dit pas si cette nouvelle forme d'élevage industriel échappera aux enjeux du bien-être animal, alors que de nouvelles études semblent mettre en évidence l'existence d'une conscience chez les insectes....