Depuis que le luxe a basculé dans l’industrie et la finance avec la constitution de conglomérats (naissance de LVMH en 1987, rachat de Gucci Group par PPR en 1999), l’heure est plus à la production en série qu’au 100% fait main mais certaines maisons continuent à résister à la fast-fashion. Au passage, elles défendent l’idée d’un luxe authentique, avec un rapport au temps différent, qui célèbre la maîtrise du geste, au service de la créativité et de l'innovation, tout en visant avant tout la longévité des produits. Un excellent exemple est celui de la marque de chaussures J.M. Weston, qui n’est pas anglaise contrairement à ce que son nom laisserait croire mais installée dans le Limousin depuis 1891. Pour fabriquer ses modèles cousus main et vendus entre 150 et 3 000 euros, les peaux viennent d’Allemagne et d’Autriche, car les bêtes françaises n’ont plus la peau assez épaisse depuis que le productivisme a sélectionné les races et contraint à un abattage rapide. Le tannage se fait à base de tanins végétaux (l’un provient du quebracho, un arbre argentin, et l’autre du châtaignier) dans lequel les peaux de vache sont trempées alternativement pendant deux mois - une opération qui pourrait être réduite de plusieurs semaines par les procédés modernes utilisant agents chimiques et fours, sauf que ces derniers n’offrent pas la même qualité, en particulier de résistance à l’eau (les instruments utilisés pour ce processus sont d’ailleurs à peu de choses près identiques à ceux utilisés en 1860, date de création de la tannerie). Les peaux reposent ensuite dans des fosses pendant huit à neuf mois, au milieu des écorces de chêne, pour fixer le tanin. Plus d'un demi-siècle après la mort du fondateur Eugène Blanchard, en 1955, sa vision reste d'actualité dans l'entreprise familiale : la production demeure limitée (moins de 100.000 paires par an) et les délais de fabrication n'ont pas été réduits, puisque toutes les opérations ou presque sont effectuées à la main sur des machines qui ne sont plus produites à grande échelle - ce qui contraint la marque à faire appel à des sociétés anglaises qui répliquent pièce par pièce son outillage. Dans un monde qui va "trop vite", comme le dit Jean-Lous Servan-Schreiber, chez Weston, le temps reste lent : il faut plus d’un an pour passer de la tannerie au mocassin final. Mais les clients attachés à leur paire peuvent les garder à vie puisque Weston assure 40 réparations par jour, pour remettre à neuf les paires de chaussures favorites de ses clients. Et si le luxe authentique était en fait à la pointe de la consommation responsable ?