Allons bon : maintenant que le grand public est en passe de comprendre que l’élevage est à l’origine, dans le monde, de 18% des émissions de gaz à effet de serre et qu’il vaut mieux, pour protéger le climat, changer la façon dont on se nourrit que celle dont on se déplace (l’idéal étant, évidemment, de changer les deux), voici qu’émerge toute la complexité du sujet. Il fallait s’y attendre : d’abord, la filière bovine française, voyant tourner le vent, a voulu remettre les pendules à l’heure avec quelques tribunes, certes orientées sur la défense de son activité… quitte à jeter la pierre dans le jardin des producteurs de lait – lesquels n’ont pas encore pris la parole sur le sujet.
La dernière nouvelle en date, sur le même thème, est un récent article de Time : le magazine avance carrément, à contre-courant de Paul McCartney et autres végétariens engagés pour le climat (dont le Président du GIEC, Rajendra Pachauri), que manger du bœuf (nourri à l’herbe) pourrait permettre de lutter contre le réchauffement climatique. Explications : là où l’élevage industriel prend des ressources dans l’environnement (céréales et énergie nécessaire pour les produire, engrais compris, puis énergie pour transporter l’alimentation et chauffer les entrepôts…) sans rien lui rendre d’autre que des pollutions (dont le méthane émis par les ruminants), l’élevage extensif et traditionnel assure une rotation du bétail sur les pâturages, de sorte que les animaux prennent en charge la coupe et la repousse de l’herbe, tandis que leurs excréments contribuent à enrichir le sol en humus (pas besoin d’engrais), ce qui augmente la capacité de la terre à stocker du CO2. Au total, même si les vaches nourries à l’herbe émettent un peu plus de méthane (car l’herbe et les plantes riches en fibres sont plus difficiles à digérer que des céréales), l’impact net sur le climat serait du coup nettement inférieur à celui de l’élevage industriel car l’élevage à l’herbe aide le sol à "fixer" le carbone dans des proportions qui compensent, voire excèdent, les émissions des ruminants. D’après l’article, cette pratique pourrait augmenter de 2% la teneur en carbone des terres actuellement utilisées pour l’agriculture et l’élevage - or certains chercheurs affirment qu’une augmentation de 1% seulement suffirait à capter l’équivalent des émissions de CO2 mondiales. Accessoirement, le bénéfice est aussi nutritionnel, car la viande des vaches nourries à l’herbe est moins riche en graisses saturées et plus riche en "bons" omégas 3. Seul problème : cette viande est aussi deux fois plus chère que celle issue de l’élevage industriel, dont les défenseurs affirment que les économies d’échelle sont nécessaires pour nourrir la population mondiale, et rappellent que la croissance d’une vache ne prend que 14 mois avec les méthodes industrielles contre deux ou trois ans si elle est nourrie à l’herbe (moins riche en calories que les céréales). De manière amusante, certains industriels de la viande aux Etats-Unis ont même, selon Time, utilisé cet argument pour avancer l’hypothèse un rien étroite que leurs vaches, vivant moins longtemps, émettaient moins de CO2... ce qui naturellement ne prend pas en compte l'argument sur l'enrichissement du sol évoqué plus haut.