Après qu’il ait été une première fois rejeté à l’Assemblée mi-mars car il avait été assimilé à une discrimination à l'embauche, un amendement du député PS Olivier Véran interdisant les mannequins anorexiques a finalement été adopté par les députés début avril, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la Santé. Il stipule notamment que "l'exercice d'une activité de mannequin est interdit à toute personne dont l'indice de masse corporelle (...) est inférieur à des niveaux définis, sur proposition de la Haute Autorité de santé, par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail", en ajoutant que le fait, pour toute personne qui exploite une agence de mannequins ou qui s'assure moyennant rémunération le concours d'un mannequin, de ne pas "veiller au respect de l'interdiction" sera puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75.000 euros. L’objectif est clair : il s’agit de lutter contre l’anorexie, avec l’idée que "la perspective de la sanction ait un effet régulateur sur l'ensemble du secteur", et d’éviter de "mettre en danger les mannequins une fois qu'elles sont sous contrat" selon l’auteur de l'amendement Olivier Véran, qui rappelle que l'Espagne, l'Italie et Israël ont déjà adopté des mesures similaires. Il souligne aussi, en réaction à la question d’une potentielle discrimination à l’embauche, qu' "il existe déjà un code du travail dérogatoire dans le mannequinnat, qui permet notamment à une agence de dire qu'elle préfère embaucher un homme plutôt qu'une femme, etc... Cette disposition ne sera en rien étendue à d'autres catégories professionnelles".
Dans ce contexte, légiférer semble donc une bonne idée puisque l'anorexie est un problème de santé publique avéré (cette pathologie, très souvent associée à des troubles psychologiques, toucherait environ 1,5% des femmes de 15 à 35 ans - et de plus en plus de jeunes garçons) et que l’industrie de la mode elle-même n’arrive pas à régler le problème. A New-York, les professionnels de la mode ont essayé de s’organiser pour lutter contre ce fléau en informant les mannequins et les acteurs du secteur de manière volontaire, mais cela a été un échec. Reste l'approche réglementaire, alors que "de nombreuses études ont établi un lien causal entre la représentation du corps dans les médias et les troubles alimentaires", affirme le sociologue Nicolas Godard dans Libération. Une thèse encore controversée pour certains (dont Karl Lagerfeld qui s’en sort par une pirouette : "Parlez-moi des 25% de jeunes filles en surpoids, ensuite on parlera des 2% d’anorexiques"), mais qui fait écho aux positions prises par l’enseigne The Body Shop et sa fondatrice Anita Roddick dès 1996, avec sa campagne sur l’estime de soi, qui mettait en scène Ruby, une poupée ayant les mensurations moyenne de toutes les femmes sur la planète, sous ce slogan : "8 femmes sont des top-models et 3 milliards n’en sont pas". Une approche à laquelle fait très sérieusement écho depuis 2004 la campagne de Dove qui multiplie les films militants (voir ici et là), les sites Internet et même les ateliers pour les jeunes filles. L’estime de soi est la seule chose qui rend une femme belle, rappelle la marque, dont les études font apparaître que seulement 4% des femmes dans le monde entier se trouvent belles et que 6 jeunes filles sur 10 sont tellement préoccupées par leur look qu’elles évitent de prendre part à certaines d’activités (activités sportives et occasions sociales, mais aussi rendez-vous chez le médecin, donner son avis, lever la main en classe ou simplement se rendre à l’école).